03/12/2025
Projet de filière de Newcleo - Commentaires de Global Chance
2025-07-12 Projet de filiere de Newcleo_commentaires de Global Chance.pdf
Projet de filière de Newcleo
Commentaires de Global Chance
Juillet 2025
1. Le projet Newcleo
En février 2022, Emmanuel Macron, dans un discours à Belfort, annonçait le lancement d’un grand programme destiné à accélérer les chantiers nucléaires en France. Après avoir annoncé la mise en chantier de 6 EPR2, le Président de la République a évoqué la question des petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors - SMR en anglais, PRM en français) : « Un appel à projets sera soutenu à hauteur d'un milliard d'euros par France 2030 et sera lancé pour faire émerger des petits réacteurs modulaires (les fameux SMR que nous évoquions là aussi tout à l'heure), mais aussi des réacteurs innovants permettant de fermer le cycle du combustible et de produire moins de déchets. […] Il y aura 500 millions d'euros pour des projets ouverts sur les réacteurs innovants que j'évoquais à l'instant. […] Le CEA, qui a joué un rôle décisif dans la naissance de la filière nucléaire française, appuiera et accompagnera la montée en puissance de ces nouveaux acteurs. »
Actuellement, près d’une vingtaine de projets de petits réacteurs modulaires se disputent une place dans le futur paysage nucléaire français. EDF, qui avait fait le choix technologique d’un réacteur à eau pressurisée (du même type que les réacteurs du parc français actuel), a jeté temporairement l’éponge après des réunions techniques préliminaires avec l’autorité de sûreté et décidé de remanier complètement son modèle Nuward (1).
Newcleo (2), un autre porteur de projet, a fait le choix d’une technologie « de rupture », un réacteur à neutrons rapides (RNR) refroidi au plomb. Il a récemment soumis son dossier d’options de sûreté à l’ASNR et engagé une importante campagne de communication sur les sites où il envisage de s’installer. Par ailleurs une présentation a été faite par son promoteur devant l’ANCCLI (Association nationale des comités et commissions locales d’information) et un débat organisé par la CNDP (Commission nationale du débat public) devrait porter sur ce projet en 2026.
En réalité Newcleo, comme la plupart des porteurs de projets « innovants », envisage le démarrage de toute une filière industrielle. Le débat public concernera deux installations : un réacteur « démonstrateur » de 30 MWe de puissance électrique nette, LFR-AS-30 (implantation prévue près de la centrale nucléaire de Chinon) et une usine de fabrication de combustible MOX (3) (implantation prévue près de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine).
La start-up a également acquis un site à Chusclan, dans le Gard, pour former des techniciens à la fabrication des combustibles. Mais le fondateur et dirigeant de Newcleo, Stefano Buono se place d’emblée dans une stratégie européenne et voit beaucoup plus loin.
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Caractéristiques techniques du réacteur LFR-AS-30
Tel que présenté par son concepteur, le réacteur à neutrons rapides LFR-AS-30 est refroidi au plomb liquide, c'est un réacteur de IVe génération. Le cœur du réacteur est situé au centre d'une cuve d'environ 5 m de hauteur et est constitué de 49 assemblages combustibles d'oxyde d'uranium et de plutonium (MOX). Chacun des assemblages contient 18 kg de plutonium (soit 28,6 % de Pu).
La conduite du réacteur est assurée par 9 barres de contrôle et 3 barres d'arrêt.
Le fluide caloporteur est le plomb liquide, à pression atmosphérique, dont la température est de 370 °C à l'entrée du cœur (alimentation par le bas) et de 440 °C à la sortie (respectivement 420 °C et 530 °C au cours de la deuxième phase). Trois pompes assurent la circulation du plomb liquide qui transmet l'énergie extraite du cœur à de la vapeur produite, à 400°C et 150 bars (500 °C en deuxième phase), par trois générateurs de vapeur intégrés dans la cuve. La vapeur actionne une turbine et un alternateur dont la puissance nominale est de 30 MWe.
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Une installation d’essais (sans matière nucléaire) devrait être opérationnelle sur le site italien de Brasimone avec le concours de l’ENEA. La start-up vise également le marché italien pour son réacteur, avec l’appui du gouvernement Melloni qui voudrait revenir sur l’arrêt du nucléaire décidé par référendum, voici 14 ans. Pour son premier réacteur de taille industrielle (200 MWe), Newcleo vise le Royaume-Uni. Le groupe aurait levé près d’un milliard d’euros et recruté plus d’un millier de salariés. Il procède également à des rachats d’entreprises pour compléter son dispositif industriel.
2. La sûreté des RNR à caloporteur plomb
Les dossiers d’options de sûreté soumis par Newcleo pour les deux installations nucléaires prévues en France ne sont pas en accès public et on ne dispose donc que de très peu d’informations précises sur ces projets. Pour tenter d’analyser les problèmes de sûreté posés par le LFR-AS-30, on devra donc s’appuyer sur la documentation française et internationale portant sur des réacteurs similaires.
Historique et retour d’expérience
Comme pour beaucoup d’autres concepts de SMR, les bases théoriques du fonctionnement d’un réacteur à neutrons rapides et caloporteur plomb (LFR pour Lead-cooled Fast Reactor) ont été discutées dès les années 1950. Dans les années 1960 et 70, l’Union soviétique a développé un programme de sous-marins nucléaires d’attaque (Alfa) utilisant comme caloporteur un mélange plomb-bismuth. Deux accidents sont survenus sur ces réacteurs au cours de cette période et la filière a été ensuite abandonnée. Le retour d’expérience sur les LFR se résume en fait à ces sous-marins (4). Aucun réacteur nucléaire commercial de ce type n’a encore été exploité au niveau mondial.
En Europe, les recherches sur ce thème ont été relancées en 1993 sous l’impulsion du prix Nobel Carlo Rubbia et de son projet d’accélérateur « Rubbiatron » qui prévoyait un refroidissement au plomb (5). Par la suite différents projets de RNR refroidis au plomb (ELSY, ALFRED, ELFR) ont été étudiés dans le cadre de programmes financés par l’Union européenne et en grande partie coordonnés par l’ENEA (l’équivalent italien du CEA). Au niveau international les recherches sur les LFR ont été notamment coordonnées par le Forum Genération IV créé à l’initiative du Département de l'énergie (DOE) étatsunien.
En France, les recherches sur les LFR ont été essentiellement suivies par le CEA et l’IRSN. Toutefois l’Hexagone a eu un important programme de RNR à caloporteur sodium (Rapsodie, Phénix, Superphénix) et c’est cette filière qui était envisagée pour le réacteur ASTRID aujourd’hui abandonné. Dans son rapport annuel 2024, l’ASNR précise à propos des projets de SMR discutés en France : « L’IRSN avait conclu que seuls les réacteurs à neutrons rapides (RNR) refroidis au sodium (tels que les réacteurs Phénix et Superphénix qui ont été exploités en France) et les réacteurs à haute température (6) (HTR) refroidis au gaz utilisant du graphite comme modérateur, disposaient d’un retour d’expérience exploitable pour envisager à court terme un passage vers une possible phase industrielle. »
Neutrons thermiques et neutrons rapides
L’immense majorité des réacteurs, en France et dans le monde, utilisent un modérateur pour obtenir des neutrons ralentis (neutrons thermiques) et augmenter ainsi la probabilité de fission des noyaux. Le modérateur permet d’utiliser un combustible relativement peu enrichi en matière fissile pour obtenir une réaction en chaîne. Dans un réacteur à eau pressurisée, l’eau joue à la fois un rôle de caloporteur (elle transporte la chaleur) et de modérateur (elle ralentit la vitesse des neutrons) et permet ainsi d’utiliser un uranium faiblement enrichi (3 à 5 % d’U235 au lieu d’une teneur de 0,72 % dans l’uranium naturel).
Dans un réacteur à neutrons rapides, il est nécessaire d’avoir un combustible beaucoup plus riche en matière fissile (typiquement 20 % de plutonium pour 80 % d’uranium appauvri) car la probabilité de fission est beaucoup plus faible qu'avec des neutrons thermiques. En revanche, cette filière présente théoriquement de nombreux avantages : rendement supérieur en raison de la température élevée du cœur, possibilité d’utiliser l’uranium appauvri (l’uranium 238 étant transformé en plutonium 239). Le plutonium 239 ainsi « surgénéré » et extrait permettrait de réalimenter un autre réacteur à neutrons rapides, etc. Toutefois, dans la pratique, ces réacteurs ont connu d’importants déboires, en France notamment avec la fermeture rapide de Superphénix (et, d’une certaine manière, l’abandon du programme ASTRID), mais aussi aux États-Unis (projet avorté de Clinch River) ou au Japon (incendie du surgénérateur Monju). Ces échecs ou annulations depuis des décennies doivent nous inciter à la prudence.
Des problèmes de sûreté spécifiques aux LFR
Les LFR partagent un certain nombre de problématiques de sûreté avec les RNR à caloporteur sodium. Tout d’abord, la forte proportion de plutonium dans le cœur se traduit par une très forte radiotoxicité en cas de fuite ou de rejet dans l’environnement. Par ailleurs de nombreux chercheurs s’accordent à dire, que ces LFR présentent un « coefficient de vide » positif : en cas de vide à l’intérieur du caloporteur plomb (phénomène d'ébullition), la réactivité du cœur augmente, pouvant conduire à un accident de criticité, la réaction en chaîne pouvant alors s’accélérer brusquement ; un scénario accidentel qui a été largement discuté à propos de Superphénix.
Newcleo met en avant un certain nombre d’avantages pour la sûreté obtenus par le remplacement du sodium par le plomb. Celui-ci permet de s’affranchir des problèmes d’inflammabilité ou de réactions explosives en cas de contact avec l’air ou l’eau, un des grands points faibles des RNR sodium. Toutefois ces avantages ne doivent pas dissimuler d’autres problèmes très sérieux. Le CEA, par exemple, juge la sûreté d’un LFR « bonne au plan neutronique, moyenne au plan thermohydraulique (la température de fusion élevée entraîne des risques de bouchage par solidification aux points froids) et mauvaise aux plans de la physicochimie (problèmes de corrosion-érosion-colmatage) et de la mécanique (vulnérabilité au séisme, du fait de la forte densité du plomb) ». Surtout, l’ensemble des experts, comme les chercheurs du CEA, insistent sur les problèmes de corrosion : « Le plomb a un pouvoir corrosif très fort sur l’ensemble des matériaux métalliques habituellement utilisés dans les réacteurs : matériaux austénitiques, ferritiques ou martensitiques. Il dissout, en particulier, le nickel des alliages. La seule protection contre cette dissolution est l’établissement d’une couche d’oxydes en surface en maintenant dans le plomb un niveau d’oxygène précis par injection contrôlée. Par contre, si ce niveau est mal contrôlé et devient localement trop élevé, des oxydes de plomb insolubles se forment et peuvent conduire à des désordres divers (c’est ce phénomène qui a conduit à des incidents par obstruction du cœur sur les sous-marins nucléaires russes qui utilisaient ce caloporteur depuis abandonné) (7). » Le problème de la corrosion peut aussi s’avérer particulièrement important sur les gaines de combustible.
Une partie des problèmes posés par le caloporteur plomb tient à sa densité et sa température de fusion très élevée (327 °C). Pour éviter tout risque de solidification du circuit, il faudrait maintenir la température du caloporteur à environ 400 °C, ce qui pose un problème de sûreté, mais également un problème économique étant donné les énormes quantités d’électricité qui seraient nécessaires en cas d’incident ou de problème de maintenance. On notera également parmi les caractéristiques défavorables des caloporteurs plomb et sodium, leur opacité qui complique les activités de contrôle et de maintenance (8).
Newcleo est bien sûr conscient de ces différents problèmes et cherche des parades, notamment dans ses installations d’essais développées en Italie avec l’ENEA. Mais tout est à faire et des calculs sur maquette ne peuvent résoudre toutes ces contraintes.
3. Cycle du combustible, retraitement, déchets
Newcleo, comme toutes les start-ups qui proposent des RNR, vante la capacité de son réacteur à réduire les besoins en uranium, à fermer le cycle du combustible ou à réduire les quantités de déchets radioactifs à stocker. Là encore, cette approche théorique ne résiste pas vraiment à l’analyse de la réalité.
Newcleo envisage un multirecyclage, au cours duquel, retraitement après retraitement, l’ensemble des matières nucléaires serait transformé en produits de fission. Cette vision n’est confortée par aucune expérience concrète, même de faible ampleur. Il faut tout d’abord rappeler que le combustible MOX des réacteurs à eau pressurisée n’est pas retraité et s’entasse dans les piscines de la Hague (2 510 t entreposées dont 1 947 t à La Hague, fin 2023).
Le retraitement de quelques dizaines de tonnes en mélange avec des combustibles classiques réalisé, à titre expérimental, ne permet pas de garantir la possibilité de passer à l’échelle industrielle, encore moins dans des conditions économiques viables. Par ailleurs, la mise en place d’un tel schéma s’étalerait sur des décennies, voire des siècles.
Chaque phase de retraitement donne lieu à de nombreux rejets gazeux et liquides dans l’environnement et à l’irradiation d’équipements comme le démontre le fonctionnement des usines de la Hague depuis des décennies.
Sécurité et prolifération
On peut s’étonner qu’au moment où l’on bombarde les installations d’enrichissement d’uranium de l’Iran, qui pourrait se servir de cet uranium très enrichi à la fabrication d’armes nucléaires, que les porteurs de projet de SMR, qui prévoient d’utiliser un combustible contenant des combustibles à haute teneur en produits fissiles (uranium ou plutonium), accordent si peu d’attention aux problèmes de prolifération nucléaire. Pourtant, paradoxalement, au moment où des conflits militaires de haute intensité montrent la fragilité de la sécurité militaire, des gouvernements, dont la totalité des puissances nucléaires militaires, cherchent à développer des filières nucléaires potentiellement très proliférantes et vulnérables aux attaques terroristes. Tout cela dans un contexte d’affaiblissement du droit international et des négociations sur le désarmement.
Toute une réglementation internationale, suivie notamment par l’AIEA ou Euratom, est prévue pour gérer les installations nucléaires dans lesquelles transitent de l’uranium et du plutonium. Ces mesures de garantie s’appliquent généralement à des États. L’État français, puissance nucléaire militaire officielle, bénéficie de dispositions internationales qui lui permettent de préserver des données militairement sensibles. Toutefois, des mesures de surveillance et de convoyage de type militaire doivent être mises en œuvre pour tout transport de plutonium ou de MOX, des scellés doivent être mis sur tous les emballages et une comptabilité nationale très précise des matières fissiles doit pouvoir être contrôlée par les instances nationales et internationales compétentes. On considère en effet actuellement qu’il est possible de fabriquer une bombe nucléaire avec seulement 4 kg de plutonium, c’est-à-dire une quantité inférieure à celle qui est présente dans un seul assemblage du réacteur LFR30 de Newcleo.
Toutefois le projet Newcleo pose de nombreux autres problèmes, d’une part parce qu’il s’agit d’une entreprise non étatique (même si l’ENEA, donc indirectement l’État italien projette d’entrer au capital de la société), d’autre part en raison de ses ambitions commerciales au niveau international. En ce qui concerne la prolifération, il ne faut pas se concentrer exclusivement sur le réacteur démonstrateur. L’usine de fabrication de combustible doit permettre d’alimenter des SMR dans le monde entier. Son promoteur prétend arriver rapidement à une chaîne de production de 40 t/an et progressivement à 120 t/an (la production optimale de Melox, l'usine de fabrication de combustible à base de plutonium, située à Marcoule). Le taux de plutonium dans le MOX envisagé par Newcleo est de 28,6 %, un pourcentage extrêmement élevé, très supérieur à ce qu’il était même dans Phénix et Superphénix. Les projets SMR visent en particulier des pays qui ne possèdent pas actuellement d’activités nucléaires. Newcleo vise aussi des sites isolés, par exemple des champs d’exploitation pétrolière ou des navires, en collaboration avec Saipem. Malgré toutes les réglementations internationales, tous ces transferts de technologies et de matières pourraient être la cible de tentatives de détournements ou d’actions terroristes.
4. Le projet Newcleo est-il réaliste ?
Il reste à évaluer si le calendrier extrêmement serré et le modèle économique prévus par Newcleo sont réalistes. On lira avec intérêt le commentaire de l’ASN sur les SMR dans son rapport 2024. Bien que rédigé dans des termes très diplomatiques il permet de se faire une idée des pressions qui s’exercent sur l’autorité de sûreté et ses experts :
« Le développement de ces nouvelles sociétés induit une forte pression temporelle sur les projets au regard :
- de la compétition entre les différents projets pour mettre en service un démonstrateur industriel et ainsi pouvoir se lancer parmi les premiers dans la commercialisation à plus grande échelle de leur modèle de PRM aux niveaux national et international ;
- des enjeux financiers de leur développement, en particulier l’équilibre entre leurs levées et leur consommation de capital en attendant la mise en service de leur premier réacteur industriel.
Dans ce contexte de pression sur la temporalité de ces projets, l’un des principaux constats dressés par l’ASN à l’issue des échanges tenus en 2024 concerne de fait le caractère souvent peu réaliste des calendriers de déploiement affichés par de nombreux porteurs de projet.
L’ASN identifie en particulier plusieurs délais en lien avec ses préoccupations en matière de sûreté qui ont trop souvent tendance à être sous‑évalués par les porteurs de projet :
- le délai nécessaire à un projet de réacteur innovant pour disposer d’un socle de connaissances et de validation de ses choix technologiques qui soit suffisamment étayé pour s’assurer de la faisabilité et de la viabilité industrielle de leur projet, aussi bien en phase de construction que d’exploitation, et pour établir avec toute la rigueur requise la démonstration de sûreté attendue
à l’appui d’une demande d’autorisation de création ;
- la durée considérée pour l’instruction de la demande d’autorisation de création de leur premier réacteur ; en effet les porteurs de projet prévoient généralement des délais d’instruction de leur réacteur expérimental ou de leur démonstrateur industriel plus courts que ceux prévus par le cadre réglementaire actuel. Alors qu’une telle réduction des délais peut s’envisager pour l’instruction des réacteurs suivants qui pourraient bénéficier de l’effet série, elle est difficilement envisageable pour des réacteurs particulièrement innovants. L’ASN rappelle donc que les dossiers de ces PRM seront examinés avec la même rigueur que toute autre installation nucléaire de manière proportionnée aux enjeux de sûreté, et que les délais pour les instruire dépendront avant tout de la qualité et de la complexité des démonstrations de sûreté qui lui seront présentées. »
Si le calendrier est très incertain, la viabilité économique du projet Newcleo l’est tout autant. Pour un acteur privé et même public, la question du financement joue un rôle primordial dans l’investissement dans un projet énergétique. Le coût « overnight (9) » d’un projet (hors intérêts et inflation) ne reflète que très peu la réalité économique. Pour avancer, il faut des prises de participation ou des emprunts importants. Les projets EPR au Royaume-Uni donnent une idée de l’ampleur du problème. Compte tenu des importants délais de mise en route et des risques d’échec des projets nucléaires, le financement coûte très cher. C’est particulièrement vrai pour les projets de SMR.
Dans le concept de « petit réacteur modulaire », c’est en fait le mot modulaire qui est essentiel. L’idée est de fabriquer en série en usine les grands composants de ces réacteurs, de les transporter préassemblés sur le site prévu afin que le travail sur le terrain porte essentiellement sur le génie civil. Au sens strict, il n’existe aucun SMR dans le monde, pas même en Chine. Pour survivre, un programme SMR doit s’imposer avant les autres et commercialiser au moins des dizaines de réacteurs parfaitement semblables dans une période relativement brève pour parvenir à un seuil de rentabilité et rémunérer les investisseurs et les prêteurs. L’objectif paraît tout à fait inatteignable compte tenu de la concurrence internationale (plus d’une centaine de projets actuellement) et des intérêts nationaux contradictoires.
Newcleo, par exemple, vise d’installer son premier LFR-AS- 200 MWe au Royaume-Uni. Mais dans ce pays un premier cycle de candidature a ciblé les projets de SMR correspondant à des filières disposant d’un important retour d’expérience (essentiellement à eau pressurisée). Et il y a fort à parier que le gouvernement britannique cherchera, malgré la procédure concurrentielle, à promouvoir son champion national, Rolls-Royce.
Malgré toutes les incertitudes en matière de sûreté et sécurité de sa filière, Newcleo revendique un calendrier de réalisation extrêmement serré. L’autorité de sûreté, consciente des nombreux problèmes, juge les délais intenables. Lors du séminaire de présentation du projet Newcleo organisé par l’ANCCLI le 25 juin 2025, le directeur général adjoint de l’ASNR a déclaré : « Le planning du porteur de projet n’a pas de marge, pour un projet qui n’est pas sans enjeux. C’est extrêmement volontariste. ». La start-up, elle, joue sur ses nombreux relais politiques au niveau local comme aux niveaux national et international, pour accélérer les autorisations. Elle recrute d’ailleurs d’anciens responsables d’autorités de sûreté européennes, par exemple Adrienne Kelbie qui a dirigé l’ONR (équivalent britannique de l’ASNR) entre 2016 et 2021, Stéphane Calpena, qui a travaillé à la fois à l’ASN et à l’ONR, ou d’autres personnalités influentes comme Anne-François de Bourdoncle de Saint Salvy, vice-amiral et ancien commandant du Charles-de-Gaulle…
La stratégie qui se dessine est inquiétante, particulièrement dans un contexte de pressions politiques nationales et internationales visant à obtenir très vite des résultats et au moment où l’autorité de sûreté est affaiblie par sa restructuration. Les paramètres de temporalité, de rentabilité et de sûreté sont intrinsèquement liés : pour tenir un calendrier et garantir sa viabilité financière, la tentation est grande pour une start-up de chercher à obtenir des concessions de la part de l’autorité de sûreté. Dans le cas des SMR, où il y a fort à craindre que les procédures d’autorisation soient simplifiées pour les nouveaux chantiers de réacteurs partiellement standardisés, le risque est réel.
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(1) Sur Nuward, voir : https://global-chance.org/Les-SMR-Deux-exemples-NuScale-et-NUWARD.
(2) https://www.newcleo.com/
(3) MOX : Mixed oxide, combustible constitué d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium. Utilisé dans les réacteurs
à eau pressurisée du parc EDF : 7% en 1987 au début de l’usage du MOX, puis de 8,65 % à 9,3 % de plutonium
avec un maximum fixé à 9,54%. Envisagé par Newcleo : 28,6 % de plutonium.
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Alfa-class_submarine#Incidents
(5) https://www.gen-4.org/sites/default/files/2024-07/2024-06-10_newcleo_gif_webinar_fm2.pdf
(6) Voir à ce sujet : https://global-chance.org/SMR-Les-reacteurs-a-haute-temperature
(7)https://www.cea.fr/Documents/monographies/reacteurs-nucleaires-sodium-pourquoi-reacteurs-rapides-
sodium.pdf
(8) https://en.wikipedia.org/wiki/Lead-cooled_fast_reactor
(9) Coût « overnight » de construction : on fait l’hypothèse qu’aucun délai de réalisation n’intervient dans ce coût,
comme si la réalisation s’était faite en une nuit (overnight). Le coût réel est toujours plus élevé, car les durées de
construction se traduisent par des frais financiers.
07:31 Publié dans Chinon, SMR | Lien permanent | Commentaires (0)




