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19/07/2016

Les antinucléaire de Bure entrent en résistance dans le bois Lejuc

 

18 juillet 2016 | Par Aurélie Delmas (Mediapart)

Un bras de fer s’est engagé entre les opposants à l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), durant deux jours de mobilisation destinés à « reprendre » le bois Lejuc, où l’Andra a débuté des travaux. La lutte contre la « poubelle nucléaire » semble trouver un nouveau souffle.

  • Bure (Meuse), de notre envoyée spéciale. - Après un dimanche sous tension dans la forêt, les militants antinucléaire de Bure, opposés au projet Cigéo d’enfouissement des déchets, sont sur le point de se faire expulser du bois Lejuc – ils ne semblent pas vouloir opposer une résistance farouche sur le long terme. « Ce qui compte, c'est d'avoir repris le bois lors d'une belle journée samedi. Cela ne sert à rien de s'acharner, de s'épuiser, de prendre des risques. Maintenant, on réfléchit au coup d'après. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on est au début de quelque chose d'un peu plus grand et un peu plus fort », se félicitait Sylvestre (prénom d'emprunt) dimanche soir.

Les manifestants devant le bois Lejuc, le 16 juillet 2016 © AD

Samedi 16 juillet, c'est en criant « Et la forêt elle est à qui ? Elle est à nous ! » que plusieurs centaines de manifestants – 400 selon les organisateurs – se sont avancés vers le bois de la discorde, dans la forêt de Mandres-en-Barrois, tout près de Bure. Ces quelque 220 hectares sont l'objet d'une bataille juridique mais surtout symbolique entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et les militants contre le nucléaire. 

Le bois en question a fait l'objet d'un échange avec la mairie de Mandres-en-Barrois après un vote à bulletin secret du conseil municipal contesté par des habitants. Les opposants estiment que l'Andra n'a pas à y faire de travaux tant que la justice ne s'est pas prononcée sur le sort de ce qui reste à leurs yeux « un bien commun ». Ils sont persuadés que les opérations de déboisement qui ont été menées sont les prémices de l'installation du centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs. 

C'est autour de la Maison de la résistance de Bure, qui existe depuis dix ans pour lutter contre l'enfouissement à grande profondeur des déchets nucléaires hautement radioactifs, que la lutte se réorganise. BureStop, la Confédération paysanne, Sortir du nucléaire… de nombreuses organisations soutiennent cet élan collectif contre le stockage, à 500 mètres sous la surface, des rebuts de haute activité et à vie longue de toute la production nucléaire française. Après plus de 20 ans, la lutte contre la « poubelle nucléaire » semble trouver un nouveau souffle. Le bois Lejuc a été occupé une première fois pendant plusieurs semaines au mois de juin. Les occupants ont été expulsés le 7 juillet, au petit matin, avant que le tribunal ait pu statuer sur leur expulsion. Ils ont finalement été déboutés de leur contestation… mais le 15 juillet, plus d'une semaine après les faits. 

Entre-temps, les antinucléaire avaient promis de revenir, et appelé des renforts lors du festival de Notre-Dame-des-Landes les 9 et 10 juillet, afin d'ouvrir un « été d'urgence ». Rendez-vous fut pris ce samedi 16, pour « réoccuper le bois ». Des manifestants venus d'un peu partout en France, et des représentants d'associations locales se sont réunis derrière les habitants de la Maison. En colère d'avoir vu une vingtaine de députés adopter presque en catimini le lancement d'une phase pilote de Cigéo le 11 juillet, ils voulaient que la journée de manifestation « soit une fête ».

 

Des voitures aux plaques dissimulées, par crainte du fichage, sont garées dans le village « qui n'a jamais été aussi animé », aux dires d'un local, et un bus a été affrété spécialement depuis Nantes. Martial Chateau, administrateur du réseau Sortir du nucléaire, fait partie de ceux qui ont voyagé toute la nuit pour soutenir les opposants du cru. « Tout ce qui s'est fait dans le nucléaire s'est fait sur la base du mensonge », tranche-t-il, pointant le « mythe » de la réversibilité votée par les députés, qui permettrait de changer d'avis sur le sort des déchets de Bure pendant 100 ans. Comme le laboratoire de recherche installé ici depuis 2011, il s'agit pour Laura, porte-parole du réseau, « d'arguments mis en avant pour favoriser l'acceptabilité sociale du projet ». Autrement dit, pour faire passer la pilule progressivement.

La tête du cortège, équipée de casques, cagoules et protections, s'est retrouvée face à la ligne de gendarmes mobiles déployée le long du bois Lejuc en début d'après-midi ce samedi. Jets de projectiles et tirs de lacrymogènes se sont répondu une heure durant, alors que le gros des manifestants est resté en arrière, dans une ambiance plus festive. « On a regardé de loin, c'était vachement beau. Les enfants ont cru que c'était des feux d'artifice », s'amuse une famille venue des Vosges. Une Parisienne « anarchiste et antinucléaire de longue date », habituée des manifestations contre la loi sur le travail, se réjouit de pouvoir manifester en plein champ, « au moins ils ne pourront pas nous nasser », rigole-t-elle.

C'est finalement en longeant le bois qu'une cinquantaine de militants effectue une percée, provoquant une brèche dans le cordon de gendarmes, et rentre dans le bois. Après quelques tirs de grenades lacrymogènes supplémentaires, les gendarmes se replient. Mais en pénétrant dans le bois pour lancer le pique-nique, les manifestants tombent nez à nez avec des forces de sécurité sans matricule, casquées, équipées de boucliers et de matraques. Il s'agit vraisemblablement de vigiles de l'Andra, qui s'en prennent violemment à quelques opposants avant de s'éloigner à leur tour. « C'est la milice de l'Andra ! » crient certains. « Qui êtes-vous ? », interrogent d'autres. Plus tard dans l'après-midi et en début de soirée, de nouvelles échauffourées ont lieu avec ces mêmes vigiles.

Les équipes médicale et juridique du mouvement d'occupation font état de cinq personnes blessées par les vigiles, au dos, aux membres et à la tête, dont une aurait temporairement perdu connaissance. Les victimes auraient été « molestées à coups de bâtons et de matraques, de coups de pieds et de poings, elles ont reçu des jets de pierre, ont été gazées directement dans le visage et, pour certaines d’entre elles, se sont fait enfoncer la tête dans le sol, taper sur le crâne et rouer de coups ». Le communiqué fait aussi état de trois manifestants blessés par des tirs de flash-ball et de grenades de désencerclement. Les organisateurs accusent également les forces de l'ordre d'avoir « entretenu un rapport ambivalent » avec ces vigiles qui auraient été laissés libres de commettre des violences. 

Dimanche, la journée a de nouveau été houleuse. Côté préfecture, on se borne à expliquer que « tout comme hier [samedi – ndlr] les forces de l'ordre adoptent une réponse maîtrisée face à des agresseurs casqués et cagoulés qui envoient des projectiles. Il n'y a pas d'action, que des réactions ». Quatre personnes ont été placées en garde à vue samedi et entendues dans la journée de dimanche puis laissées libres sans poursuites.

Malgré ces tensions, dans la forêt, la cantine, les tentes et cabanes ont été installées, et protégées par des barricades de bois mort. Les ZIRAdiés, comme ils se baptisent en référence à la Zone d'Intérêt pour la Reconnaissance Approfondie de l'Andra, savent que leur retour dans la forêt n'est que temporaire. Mais s'ils doivent abandonner le bois, ils entendent « prolonger la mobilisation autrement ».

« C'est le désert qui avance »

Dans ces grands espaces de culture céréalière, un des enjeux à venir est de mobiliser le monde paysan pour que la contestation reste ancrée localement. Certains agriculteurs, souvent proches de la Confédération paysanne, sont déjà acquis à la cause de longue date, notamment en raison des nombreuses acquisitions foncières de l'Andra qui provoqueraient une forte hausse des prix des terres. « On essaie d'être présents à chaque fois qu'il y a des projets qui accaparent les terres », explique Michèle Roux, membre du bureau national de la Conf', le syndicat d'agriculteurs qui s'engage contre « un projet inutile et dangereux ». « Je suis mère et grand-mère, je sais ce que cela veut dire “génération future” », regrette-t-elle en faisant allusion à la durée de vie des déchets radioactifs.

Parmi les paysans du coin, Jean-Pierre habite Cirfontaines, à une dizaine de kilomètres de Bure. Face à la pression foncière « chacun croit qu'il va s'en sortir en grossissant, mais c'est le désert qui avance », regrette ce céréalier de 56 ans. Depuis son hangar, on distingue nettement la ligne de chemin de fer par laquelle deux trains hebdomadaires devraient, à terme, acheminer les déchets nucléaires vers le site Cigéo.

« Localement, il n'y a jamais eu d'opposition farouche, tout a été calmé avec les mesures d'accompagnement et cette idée géniale du labo », déplore ce militant de la première heure. L'Andra verse en effet 30 millions par an aux départements de la Meuse et de la Haute-Marne, de quoi calmer les esprits. Pour Jean-Pierre, l'action des « jeunes » de Bure, venus d'horizons divers, est indispensable et il n'hésite pas à leur prêter du matériel. Son tracteur et sa bétaillère ont d'ailleurs été saisis par les forces de l'ordre après l'expulsion du 7 juillet. « Ici, on n'a pas de densité démographique, il faut que ces jeunes viennent, sinon on ne peut rien faire. Et il faut parler de ce projet à l'extérieur, le problème n'est absolument pas local. Et je ne réagis pas ainsi parce que ça se passe chez moi », alerte-t-il.

Sur place en effet, la contestation ne dépasse guère le périmètre associatif. Michel Marie, porte-parole du Cedra52, se félicite que « le monde paysan commence à bouger, c'est un bon baromètre ». « L'adversaire, ce n'est pas l'Andra, ce n'est pas l’État, c'est le fatalisme et la résignation. Il s'agit de notre problème de citoyens », développe celui qui compte sur « une convergence des résistances contre les grands projets imposés dans toute la France ».

Les élus locaux sont tous officiellement favorables à Cigéo depuis que Jean-Pierre Remmele a perdu son siège en 2014. Celui qui fut maire de Bonnet n'était pas un opposant « avant d'être confronté à l'Andra et à ses méthodes », peste-t-il. « Ailleurs, sur des projets comme ça, il n'y a pas d'argent versé. Ce n'est qu'un labo pour l'instant ! », s'étonne-t-il. Lorsqu'il était maire, son conseil municipal a été le seul à voter contre l'enfouissement des déchets dans le sous-sol de la commune. Jusqu'à son départ, il a multiplié les réunions d'information sur le nucléaire : débats, projection de films, invités... « mais sur les 70 à 100 personnes que nous parvenions à réunir, 90 % étaient déjà des militants antinucléaire ». Depuis le campement « anti-autoritaire et anticapitaliste contre le nucléaire et son monde » organisé à l'été 2015 à Bure, « il y a un nouveau mouvement », assure-t-il. Et d'affirmer : « Oui, je suis content qu'ils soient là, les jeunes. »

Michel a suivi de près la première occupation du bois. « Je connais des gens d'ici qui rendaient visite aux jeunes tous les jours dans la forêt », explique-t-il. Sans jamais se départir de son sourire, cet ancien conseiller municipal de Mandres-en-Barrois raconte qu'avec l'avancée du projet, et celle de la contestation, la pression s'accroît sur les populations. « Les gendarmes passent toutes les 20 minutes, il y a régulièrement un hélicoptère qui nous survole, on se sent épiés, il faut qu'ils arrêtent d'opprimer les gens, ils attisent la haine », explique-t-il. Avant même la manifestation et les affrontements du week-end, Michel pointait « le service de sécurité de l'Andra qui agace lui aussi tout le monde, y compris ceux qui sont favorables au projet ». Le vendredi précédant la manifestation, même les journalistes devaient présenter leur carte de presse et être escortés par des gendarmes pour avancer sur le chemin communal qui longe le bois Lejuc.

Quoi qu'il advienne dans les jours suivants dans le bois de Mandres, les antinucléaire de la Meuse et d'ailleurs estiment avoir marqué un point en « reprenant » le bois, et ils annoncent d'ores et déjà de nouvelles actions. Pour Sylvestre, habitant de la maison, « les territoires ruraux deviennent les poubelles de la ville. Les villages se désertifient malgré les ravalements et les lampadaires tout neufs. Une économie rurale ne se re-dynamise pas à travers un gros projet industriel ». « On n'est qu'au début d'un été qui va être chaud », veut-il croire, persuadé que le « renouveau de la lutte est enclenché » depuis que les opposants ont « enfin l'impression d'avoir une prise sur le projet ».

18:01 Publié dans Bure | Lien permanent | Commentaires (0)

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